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Causerie

On aura quelque peine à trouver les éléments d'une opinion sur la suppression du pari aux courses dans les avis que viennent d'émettre les conseils généraux.

Un grand nombre de conseils ont exprimé le désir de voir maintenir les courses avec le pari réglementé. D'autres, parmi lesquels celui du Rhône, ont émis un avis défavorable ; d'autres encore ont évité de s'occuper de la question. Quoi qu'il en soit, la noble industrie du bookmaker semble bien malade en France. Elle reportera toute son activité fébrile sur les pays voisins et nous n'en concevrons aucune jalousie.

Pour donner une idée de ce que cette industrie d'origine britannique pouvait produire entre des mains habiles, je citerai l'exemple d'un ancien garçon de café qui, il y a trois ans encore, servait chaud dans un petit établissement borgne, je pourrais même dire aveugle, et qui vient d'acheter une propriété de quatre cent mille francs dans le Berry. Ce qu'il y a de non moins curieux, c'est que le propriétaire précédent de cette terre s’était ruiné au jeu, et surtout au jeu des grands chevaux, autrement meurtrier que celui des petits.

Le jeu et l'alcool sont des agents de désorganisation sociale. Le docteur Rochard qui a déclaré la guerre à l'alcoolisme, établit une distinction très grande entre l'ivresse joyeuse et à peu près inoffensive que procure le vin de bonne qualité, et l'ivresse sombre et bestiale qui résulte de l'absorption de l'alcool extrait des grains, des pommes de terre, du riz, du maïs.

La fabrication de ce poison a pris un développement formidable ; la France en absorbe, pour sa part, plus de deux millions et demi d'hectolitres par an ! Le docteur Rochard établit que la criminalité, le suicide et la folie augmentent en raison directe de la consommation de l'alcool. I1 y a une trentaine d'années, la proportion des fous alcooliques dans les asiles était environ de dix et demi pour cent ; elle est maintenant de dix-sept pour cent. Et notez que le suicide suit une progression analogue. Dans les pays du Nord, où l'on consomme des quantités toujours croissantes d'alcool, le suicide augmente ; dans les pays méridionaux plus sobres, la proportion des morts volontaires ne varie pas sensiblement. Le docteur Rochard signale ce redoutable danger public. Pour le combattre, il réclame des conférences, des Sociétés de tempérance, des publications de propagande et une surélévation considérable des droits sur l'alcool qui paie en Angleterre 477 fr. par hectolitre !

Je crois que le meilleur moyen de préserver la santé publique, c'est de favoriser le plus largement possible la régénération de nos vignes. Quand on aura en quantité suffisante de bons vins à bas prix, on verra décroître la consommation de l'alcool, de cet odieux liquide qui empêche la décomposition des morts et qui décompose les vivants !

La presse a fait des obsèques bien modestes au célèbre Barnum, qui fut un des apôtres de la publicité et qu'on appelait aux Etats-Unis : le roi de la réclame. En réalité, c'était un homme admirablement organisé et qui avait au plus haut point le génie des affaires.

Aucune difficulté, aucun échec ne pouvait entraver sa marche. Il connut successivement la ruine et la grande prospérité, et, en fin de compte, il a légué à sa famille une fortune considérable qu'on évalue à plus de cent millions de francs. Au début de sa carrière, il exhiba des phénomènes plus ou moins authentiques, tels que la nourrice de Washington, âgée, disait-il, de cent-soixante ans ; le chien-poisson du golfe de Mexico ; une famille d'albinos, des frères Siamois, reliés l'un à l'autre par une membrane. I1 fut le créateur de ces tournées artistiques qu'il inaugura avec Jenny Lind et que d'autres entrepreneurs de spectacles continuent avec la Patti ou Sarah Bernhardt. Seulement, son imagination féconde lui fournissait des suppléments de bénéfices tout à fait inattendus. Ainsi, après avoir fait gagner à Jenny Lind près d'un million dans une tournée qui lui avait rapporté le double à lui-même, il obtint de la cantatrice une mèche de cheveux qu'il divisa en -plusieurs lots et qu'il mit aux enchères à New-York. Cette vente rapporta plus de vingt mille dollars.

Un des derniers traits de Barnum. Dans sa retraite luxueuse de Bridgeport, le vieux puffiste apprit, il y a deux ans, en lisant un journal, que Sarah Bernhardt souffrait d'une maladie qui pourrait nécessiter l'amputation d'une de ses jambes. A cette nouvelle, il se sentit rajeuni ; l'opération chirurgicale lui fournirait les éléments d'une magnifique opération de réclame. Il télégraphia aussitôt à un correspondant de Londres de se rendre auprès de Sarah Bernhardt et de lui acheter à tout prix sa jambe qui serait embaumée pour être promenée à grand renfort de publicité dans tous les Etats de l'Union !... En racontant cette affaire comme une chose toute simple il ajoutait avec une résignation philosophique :

— Malheureusement l'amputation peut être évitée !

Un dernier écho de la revue de la place Bellecour, si peu favorisée par le temps. Avant de donner l'ordre de marche, un de nos colonels s'aperçoit qu'un jeune sous-lieutenant est chaussé avec une élégance plus mondaine que militaire. Cette infraction à l'ordonnance lui fait froncer le sourcil; mais comme il s'agit d'un excellent officier, il appelle le délinquant et lui dit, entre haut et bas :

J'aime à croire qu'un jour de revue, vous n'êtes chaussé de la sorte que par suite d'une distraction?... Que diriez-vous, si je vous priais de garder la chambre pendant huit jours ? Mon colonel, je ne dirais rien mais je penserais nécessairement... Vous penseriez?... Que j’a i été mis aux arrêts à propos de bottes ! Le colonel ayant souri, l'affaire a dû en rester là.
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